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« Dans une démocratie bien ordonnée, c’est à l’Etat d’être vigilant, car la société que nous voulons, c’est-à dire une société d’individus libres, doit être non pas une société de vigilance, mais de confiance »

Le « narratif », comme on dit aujourd’hui, était presque parfait. A la suite du drame de Romans-sur-Isère, « l’ultra-droite » était devenue en quelques jours la menace principale pour notre société, l’ennemi à abattre en priorité et la cible d’un gouvernement et d’une justice passée d’une prudence de sioux à une rigueur soudaine et, enfin, implacable. Et, tandis que les contorsions rhétoriques coutumières pour nommer les agresseurs le cédaient à la surenchère de l’opprobre, les condamnations à la prison ferme tombaient comme à Gravelotte sur les nazillons.

Peu importait que les chiffres élémentaires démentissent clairement ce retour annoncé (espéré par certains ?) des « heures sombres de notre histoire » : 1 300 fichés S d’ultra-droite contre six fois plus de radicalisés islamistes susceptibles de passer à l’acte et, donnée curieusement tue par les principaux médias, 3 000 individus fichés d’ultra-gauche ; quinze attentats islamistes ayant hélas abouti depuis 2017 contre zéro pour l’ultra-droite. Zéro mort encore venu de ce côté-là contre plus de 270 tombés sous les coups du terrorisme jihadiste depuis 2012.

Las ! Dimanche soir, à Paris, aux alentours du pont de Bir-Hakeim, en même temps qu’un touriste allemand perdait la vie sous le énième couteau d’un énième fanatique, ce « narratif » providentiel se brisait sur la réalité. Et puisque l’époque est aussi au mot « ultra », ce n’était pas la menace – qu’il ne s’agit pas ici de nier – de l’ultra-droite dénoncée urbi et orbi, mais l’ultra violence de l’islamisme qui est venue tragiquement rappeler son ultra-réalité. Puisque selon le mot prêté à Jacques Lacan, « le réel, c’est quand on se cogne ».

C’est la réalité du vrai péril jihadiste, que les esprits lucides ne cessaient de rappeler.

Déni. C’est la réalité de l’impuissance publique, dramatiquement confessée (le remarque-t-on assez ?) par nos gouvernants eux-mêmes quand ils cherchent à diluer leur propre responsabilité dans un prétendu « échec collectif », dont on voit mal en quoi les Français, qui réclament à cor et à cri (en vain) un changement radical de politique pénale, pourraient être partie prenante ; ou, pire, quand les mêmes vont jusqu’à transférer cette responsabilité première de l’Etat qu’ils ont en charge, à la société, sommée d’être désormais « vigilante ». Or, dans une démocratie bien ordonnée, c’est à l’Etat de l’être, car la société que nous voulons, c’est-à dire une société d’individus libres, doit être non une société de vigilance, mais de confiance ; nos dirigeants doivent avoir conscience qu’en démocratie, le désordre et l’impuissance publique sont liberticides.

C’est encore la réalité du déni, hélas toujours persistant au sommet même de l’exécutif où, malgré la signature immédiatement flagrante et établie de ce dernier acte jihadiste, aussi bien le chef de l’Etat que la Première ministre n’ont encore pas su, dans leur première réaction, associer le mot « islamiste » à celui de « terrorisme ».

C’est la réalité de la diversion, encore et toujours : après « la faute à la stigmatisation » puis « à l’ensauvagement », c’est désormais « la faute à la psychiatrie », si l’on en croit le ministre de l’Intérieur.

C’est enfin, la réalité de la complaisance – voire davantage – vis-à-vis de l’islamisme manifestée par une extrême gauche, résolue, semble-t-il, à descendre, marche par marche, l’escalier de l’ignominie.

Et, au cours de cette « séquence de communication » qui semble avoir remplacé, chez nos gouvernants, l’agenda politique, mention spéciale doit être faite, parmi toutes les ruses rhétoriques employées, du raisonnement circulaire qui est la traduction syllogistique du « en même temps » macronien.

Social-étatisme. Pas assez de places de prison ? Eh bien, emprisonnons moins et libérons vite les délinquants ! Expression parmi d’autres de l’échec du social-étatisme qui parvient, en même temps, à sur-dépenser et à sous-équiper les missions essentielles, en même temps à entasser de façon scandaleusement indigne les détenus dans les cellules (surpopulation carcérale) et à sous-incarcérer les voyous (taux d’incarcération en France nettement en dessous de la moyenne européenne), la pratique pénale s’adaptant à la pénurie carcérale, ce qui génère de l’arbitraire donc de l’injustice ; et renforce l’explosion de la délinquance. Mais, voilà, pas assez de place de prison.

Pas assez de places en psychiatrie ? Or, nous acceptons par dizaines de milliers des malades psychiatriques étrangers (pris en charge par la large couverture de l’aide médicale d’Etat. Résultat : encore moins de places disponibles en psychiatrie.

L’on pourra, comme ne manque pas de le faire le gouvernement lui-même, multiplier ce raisonnement circulaire à l’infini, dans le pays où nous manquons de production industrielle et où la consommation s’essouffle, mais où nous bénéficions avec nos impôts du conseil des nouveaux « dévendeurs » (sic) de la parole officielle.

Comment dès lors, devant tant de dissonances cognitives suscitées par le discours dominant, s’étonner d’une autre « ultra-réalité » : celle de l’ultra-exaspération de nos concitoyens, qui, de sondage en sondage, marquent une défiance croissante vis-à-vis de ses dirigeants comme de la justice ?

Car le peuple français, dans son immense majorité, ne vit pas dans « l’ère de la post-vérité ». Insensible aux sirènes relativistes et à l’inversion victimaire du wokisme, il n’achète plus les narratifs changeants du tournez-manège de la communication politique.

« Compétence morale ». Car il voit ce qu’il voit. Il voit que, dans l’explosion de cette ultra-violence, ce sont trop souvent les mêmes victimes. Trop souvent, les mêmes coupables. Et trop souvent, le même mode opératoire dans le retour terrifiant et, lui bien réel, du temps des « longs couteaux ».

Car ce vieux peuple à la longue culture démocratique dispose, pour distinguer les vessies des lanternes, d’une vraie « compétence morale », selon la belle expression et la puissante analyse du regretté Raymond Boudon dans une note publiée par la Fondation pour l’innovation politique en 2010.

Cette « compétence morale », qui sait distinguer l’apparence de la réalité et le discours des faits, est tout simplement la traduction de l’adage : si l’on peut tromper tout le monde un certain temps, on ne peut tromper tout le monde tout le temps. Et ceci est une ultra-vérité pour qui connaît un peu notre peuple. Ainsi va la France.

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