Retrouvez l’entretien de David Lisnard pour le média «Le Diplomate».

LE GRAND ENTRETIEN DU DIPLOMATE avec David Lisnard, maire de Cannes, président de l’Association des maires de France et président de Nouvelle Energie, qui a publié au printemps dernier un essai, avec Christophe Tardieu, inspecteur des finances, aujourd’hui secrétaire général de France Télévision, Les Leçons de Pompidou aux Éditions de l’Observatoire. Un livre qui rend hommage à Georges Pompidou, le successeur du général de Gaulle, dont le bilan et l’action restent injustement encore trop méconnus…

Propos recueillis par Roland Lombardi

Le Diplomate : Dans votre livre, vous explorez l’héritage de Georges Pompidou. Quels aspects de sa présidence trouvez-vous les plus pertinents pour la France d’aujourd’hui, et pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur ces aspects ?

David Lisnard : Georges Pompidou incarnait une solidité, une constance et une consistance dans le pouvoir qui inspiraient le respect et créaient de la confiance. Il ne jargonnait pas. Il disait les choses franchement, avec un langage très direct qui aurait pu apparaître brutal, mais qui en fait était ni condescendant ni méprisant. Surtout, il y avait des résultats. Avec lui, la France faisait mieux que le reste du monde, en matière de revenu par habitant ou de croissance. C’était une France de la performance. Par ailleurs, c’était le concret et le bons sens. Il savait que pour être un pays libre et prospère, il fallait travailler, s’industrialiser et savoir s’adapter à son époque. Avec Christophe Tardieu, nous souhaitions montrer en quoi Georges Pompidou a laissé une empreinte très positive. Il était également cohérent, n’était pas dans la posture et jamais dans le narcissisme théâtral, ce qui est rare en politique de nos jours. C’est peut-être aussi pour cela qu’il était tant aimé.

LD : Vous évoquez l’idée de modernité chez Pompidou. Comment pensez-vous que sa vision de la modernité pourrait être appliquée pour répondre aux défis actuels auxquels la France est confrontée ?

DL : Pompidou était un moderne enraciné. Il n’était pas dans la nostalgie. Il affrontait la modernité et voulait la maîtriser. Il nous enseigne que la démocratie ne peut exister et la liberté ne peut être garantie que si l’on est un pays fort et productif, qui se donne les moyens de ses ambitions. C’était l’industrialisation, l’élévation individuelle par la culture, le savoir et l’instruction. C’était la France du mérite républicain. Voilà un enseignement très précieux aujourd’hui, dans un monde de compétition et dans une société fragmentée. Par ailleurs, sa conviction que la culture constitue un vecteur d’unité nationale est d’autant plus pertinente et moderne de nos jours. Pour favoriser ce sentiment d’appartenance commune, qui transcende les diversités et renforce la concorde nationale, l’instruction publique et la culture française jouent un rôle central.

LD : Georges Pompidou était connu pour sa culture littéraire et artistique. Quelle importance accordait-il à la culture dans sa politique, et comment cela se traduit-il dans les politiques culturelles actuelles ?

DL : La culture a en effet imbibé la vie de Georges Pompidou depuis son plus jeune âge, dans le plus pur mérite républicain. Grâce à elle et par ses efforts, le petit fils de paysans et d’enseignants cantaliens devient major de l’agrégation de lettres et Normalien. Avec sa femme Claude, ils ont toujours rencontré et accueilli les meilleurs artistes de leur époque. Cela s’est retrouvé dans toute sa politique qui, parallèlement à l’industrialisation, plaçait l’instruction et l’émancipation culturelle au cœur de son action. Son projet qui deviendra à sa mort le Centre Pompidou est la manifestation spectaculaire de cette ambition. Et dans ce domaine aussi, Pompidou a poursuivi la politique de de Gaulle et Malraux pour rendre la culture accessible à chacun, partout. Hélas aujourd’hui, il manque une vraie politique culturelle à la France dont la priorité devrait être l’apprentissage de l’effort artistique et la rencontre avec les grandes œuvres de l’esprit pour tous les enfants du pays.

LD : Dans le contexte économique actuel, quelles leçons économiques de Pompidou devraient être, selon vous, mises en œuvre par les dirigeants contemporains pour favoriser la croissance et le développement ?

DL : Pompidou a démontré son inclination libérale par le soutien à l’économie de marché, l’apologie de la libre concurrence, la modernisation industrielle, l’innovation ou encore l’ouverture de la France sur l’économie mondiale, ce qui témoigne d’une approche favorisant l’entreprise et la compétitivité. Malheureusement, les termes ‘’économie’’ et ‘’libéralisme’’ demeurent en France des ‘’gros mots’’. Pompidou fustigeait d’ailleurs déjà ceux qui s’acharnaient à ignorer les lois essentielles de l’économie de marché, notamment le fait que les gains des entreprises non seulement n’ont rien d’antisocial, mais sont la matière même dont peut se nourrir le progrès social.

LD : Pompidou avait une approche particulière de la politique internationale. Quels aspects de sa politique étrangère pourraient inspirer la France dans le contexte géopolitique mondial actuel ?

DL : Si l’on se place sur le plan européen, Pompidou n’envisageait pas l’Europe comme une entité supranationale se substituant aux nations. Il a toujours défendu une Europe des États, de la coopération et des projets, en particulier pour affronter les États-Unis et l’Union Soviétique, mais dans le respect de la souveraineté de chacun. Son approche se voulait, comme toujours, pragmatique et concrète, orientée vers le développement économique et l’amélioration de la compétitivité des États membres. Parallèlement, il alertait déjà sur les possibles dérives centralisatrice et technocratique, c’est-à-dire le risque que l’Europe devienne une machine à produire de la norme, plutôt qu’un cadre pour développer des ambitions et des projets.

LD : En quoi Georges Pompidou peut nous aider à appréhender la crise de civilisation de notre époque comme sur le rapport du pouvoir aux Français, et la manière de gouverner un pays dont les ferments de la division ne sont jamais loin ?

DL : Pompidou concevait l’autorité de l’État non comme un moyen d’oppression ou de contrôle sur la vie des citoyens, mais comme un cadre permettant à la fois la liberté individuelle et le bon fonctionnement de la société. Dans cette perspective, l’État doit exercer son autorité pour garantir la liberté, l’ordre public et la dignité de chacun, sans empiéter de manière disproportionnée sur les libertés individuelles. Il disait : « Gouverner, c’est décider ; décider, c’est choisir […] On ne gouverne pas avec des “mais” ». Je dirais même que gouverner, c’est l’art d’éliminer les “mais”. Cela raisonne beaucoup avec la période actuelle, celle d’une crise de la démocratie et de l’exécution. Pompidou, c’était une grande constance dans les principes et une grande souplesse dans l’action. Sa force était d’être un chef de projet face aux enjeux de son époque.

LD : Et pour la droite française. Quelle inspiration et quelle leçon peut-elle retenir de Georges Pompidou ?

DL : La droite du gaullisme, de la démocratie chrétienne et du libéralisme, doit revendiquer l’héritage pompidolien. Celui-ci peut se décliner dans la conciliation entre modernisation du pays et respect des traditions, industrialisation et amour du terroir, prospérité économique et cohésion sociale, élévation de l’individu par l’éducation et la culture. Citons aussi la tenue des comptes publics – à son époque, le budget de l’État était excédentaire –, la justice sociale et la dignité humaine. Nous devons aussi nous inspirer de ses principes constants : l’exigence permanente de la performance et des résultats, la liberté comme force de création, la remise en ordre du pays au service de la liberté et de la prospérité, l’unité de la nation par la culture, le savoir et l’instruction ou encore le sens de l’exécution des choses qui nous manque tant ! Nous en avons besoin pour redresser le pays.

LD : Comment espérez-vous enfin que votre livre influence le débat public et la perception de Georges Pompidou parmi les nouvelles générations de Français ?

DL : Je ne surestime par l’impact de notre livre ! Mais peut-être cela changera-t-il après cet entretien… Et j’espère que chacun en retirera qu’il n’y a pas de fatalité au déclassement français. L’échec ne vient que des lâchetés et du renoncement.

Retrouvez cet entretien sur le site de «Le Diplomate» en cliquant ici.

Une tribune de David Lisnard à retrouver dans Le JDD.

La réussite écologique du 1er écomusée sous-marin de France et de Méditerranée, de l’artiste Jason deCaires Taylor, référence internationale en la matière, est directement lié à la mise sous protection de la zone.

« Ces images saisissantes de l’écomusée sous-marin que nous avons créé entre les îles de Lérins indiquent bien à quel point ces six statues jouent parfaitement leur rôle de refuge pour la biodiversité, dans une zone où il est désormais interdit de mouiller l’ancre, qui a été multipliée par 4 grâce à la concrétisation de notre projet, passant de 7 000 à 29 000 m² ! 

Je vous annonce par ailleurs que cette zone de protection sera encore agrandie et portée à 43 000 m², à compter de septembre prochain, dans le cadre de la plus grande opération de restauration des posidonies jamais réalisée en France. 

Une telle sanctuarisation de nos îles de Lérins est inédite dans l’histoire de Cannes. J’y reviendrai plus en détails à cette occasion. » David Lisnard

« Le bilan scientifique du suivi écologique rigoureux de l’écomusée fait état d’un « fort taux de recouvrement du secteur par les herbiers et une densité foliaire des herbiers en progression par rapport à l’année dernière, pouvant être qualifiée de moyenne à bonne. Ce bilan positif est directement lié à la mise sous protection de la zone permise par l’écomusée, qui permet à l’herbier de posidonie de se régénérer petit à petit ».

Les statues sont aujourd’hui, et donc en seulement trois ans, totalement colonisées par la vie marine. Ont été observés notamment : des concombres de mer, qui ont un rôle majeur car filtrant et décomposant les posidonies, des oursins, poulpes, anémones, 24 espèces de poissons (15 avaient été recensées en 2023, il s’agit donc d’une belle progression en un an) parmi lesquelles des girelles, castagnoles rouges, sars à tête noire, sars communs, serrans, oblades, daurades ou congres.

Ce constat est jugé très satisfaisant par les experts, dans la mesure où le récif est relativement jeune, alors qu’il est généralement estimé que la stabilisation d’un peuplement autour d’un récif artificiel peut prendre au moins une dizaine d’années. » David Lisnard

« La pertinence de ce projet de mandat écologique et artistique – réalisé par l’artiste britannique Jason deCaires Taylor, maître mondial en la matière – est aujourd’hui attestée par ce qu’il y a de plus concret, c’est-à-dire la vie. 

Il faudra toujours se rappeler qu’il nous aura fallu près de 10 ans de lutte contre la bureaucratie pour le faire. Comme il faudra toujours se rappeler que ce lieu, jadis très dégradé, était déserté de toute vie animale depuis des décennies. Ce n’est aujourd’hui plus le cas.

Quant à la beauté de ces clichés, ils sont l’œuvre de Stéphane Jamme (Aquanaute expertise) !

Vive Cannes. » David Lisnard

TRIBUNE – La «contribution» sur les livres d’occasion proposée par Emmanuel Macron illustre les excès de l’interventionnisme étatique et l’obsession de nos dirigeants pour la taxation.

Retrouvez la chronique de David Lisnard pour L’Opinion.

ENTRETIEN. David Lisnard, le maire de la ville, réagit aux controverses qui ont enflammé la Croisette à l’occasion de cette 76e édition.

David Lisnard, maire de Cannes, cinéphile et passionné de rock, dans son bureau, mardi 23 mai 2023. © Philippe Quaisse / Pasco


Un livre consacré au Hellfest, festival de musique rock et métal, est posé sur la longue table de travail trônant au centre de son bureau. Parmi les autres ouvrages rangés sur de petites étagères se pressent les entretiens entre Obama et Springsteen, La Conquête du savoir d’Isaac Asimov, les Pensées de Marc Aurèle, La Grande Illusion de Michel Barnier, Les Soixante-Quinze Feuillets de Marcel Proust, Reste à ta place de Sébastien Le Fol, ou encore Les Unes de Charlie-Hebdo 1969-1981.

À côté de nombreuses affiches encadrées d’anciennes éditions du Festival de Cannes, on remarque aussi d’autres trophées sous verre accrochés au mur non loin d’un sac de frappe : une photo avec Obama, une autre avec Spielberg, un portrait de feu Lemmy Kilmister, le chanteur du groupe de metal Motörhead, l’une des idoles de l’édile avec Iggy Pop.

Maire LR de Cannes depuis 2014, David Lisnard, 54 ans, est un animal politique hétéroclite et rock’n’roll. En pleine 76e édition du festival, il réagit, pour Le Point, sur les diverses broncas qui, selon certains, ont plongé cette année la manifestation dans la « tourmente ». Et sur certains de ces dossiers, ce féru de boxe pratique davantage l’uppercut que l’esquive.

David Lisnard : Les éléments de bilan à mi-course me paraissent très positifs. La présence du monde du cinéma sur la première semaine a été d’une rare densité internationale, probablement jamais atteinte. Je ne parle pas que des stars américaines comme Michael Douglas, Johnny Depp, Leonardo DiCaprio, De Niro et les autres, mais aussi des producteurs, agents, PDG de plateformes ainsi que des producteurs indépendants.

Hollywood est là, l’Asie est là, et sur cette première semaine ont afflué des professionnels qui font le cinéma d’aujourd’hui et feront celui de demain. En termes de sécurité et de logistique, je n’aime pas faire des bilans en cours de match, mais, pour l’instant, tout se passe bien.

Beaucoup de journalistes notent, cette année, une population beaucoup plus importante lors des projections. Où en sont les projets de rénovation et d’agrandissement du Palais des festivals ?

Le Palais n’a pas atteint ses limites, il s’agit du plus grand établissement recevant du public de la région, avec 88 000 mètres carrés de plancher. Et d’un leader européen sur le tourisme d’affaires. Le Festival est tout simplement victime de son succès. Tant mieux. Tout le monde s’inquiétait après la pandémie, à la fois du retour des festivaliers et du retour des cinéphiles dans les salles de cinéma.

L’affluence constatée en ville témoigne d’un festival dynamique – un bornage réalisé avec Orange montre que 70 000 personnes en moyenne se trouvent dans le périmètre du Palais –, d’une présence renforcée du marché et d’un intérêt certain du grand public.

Les données transmises par le Festival indiquent 40 000 festivaliers accrédités, le Palais et la ville ont tout à fait la capacité d’absorber cela. Chaque matin, les réunions sécurité permettent d’adapter les dispositifs. Quant aux travaux envisagés, ils portent principalement sur la rénovation de la rue intérieure et du salon des Ambassadeurs, prévue pour 2025 et 2026.

La mairie compte-t-elle réguler l’explosion des tarifs dans la restauration pendant le festival ?

Les prix sont fixés librement par les restaurants et la mairie n’a pas de pouvoir de régulation en la matière. Cependant, j’ai récemment alerté le président du syndicat des restaurateurs par courrier, à la suite du Mipim [le marché international des professionnels de l’immobilier] car nous avons constaté que certains établissements pratiquaient des prix anormaux.

C’est hélas le cas dans les autres villes lors de grands événements comme à Paris, Venise ou Londres. Nous devons d’ailleurs nous rencontrer prochainement pour évoquer le sujet et trouver des solutions pour limiter ce phénomène, qui est le fait d’une minorité. La force de Cannes, c’est sa fiabilité et c’est ce que nous voulons offrir à nos visiteurs.

La CGT a organisé des manifestations sur le boulevard Carnot et vers la gare, les 21 et 23 mai, en protestation contre la réforme des retraites…

La CGT avait annoncé avec tambours et trompettes qu’elle perturberait le Festival. Bilan des courses : elle a loupé son coup, elle n’a en rien perturbé la manifestation. En revanche, elle a perturbé le monde du travail qu’elle prétend défendre puisqu’elle a coupé le gaz de certains restaurants et provoqué quelques gênes de circulation. Je suis pour la liberté d’expression totale, mais je suis contre le droit d’entrave. Le droit de grève, ce n’est pas un droit de sabotage.

Donc non seulement la CGT est restée invisible aux yeux des médias nationaux et internationaux, mais elle a réussi à se rendre encore un peu plus impopulaire auprès du monde du travail local, qui a besoin que l’événementiel, son outil de travail essentiel tout au long de l’année, soit respecté. Dernier point, elle a réussi à mettre en péril la vie d’une personne âgée en lançant non loin d’elle une bombe agricole. La personne a fait un arrêt cardiaque mais a pu être réanimée : on attend toujours les excuses de la CGT.

Que va-t-il arriver au policier municipal qui a eu une altercation avec le délégué général du festival Thierry Frémaux, à qui il reprochait de rouler trop vite à vélo sur le trottoir ?

J’ai dit ce que j’avais à en dire : la police municipale fait tout au long de l’année un travail très exigeant, en totale impartialité, dans une ville de Cannes qui est difficile. Le policier a fait son travail et il l’a bien fait, c’est tout. Il veut rester discret parce qu’il est très meurtri de la notoriété que prennent ces images sur le Web, mais je peux vous dire qu’il est encouragé dans son travail.

Personne n’est au-dessus des lois, Thierry Frémaux non plus. C’est une non-affaire. D’un autre côté, tout comme il ne faut jamais s’acharner sur quelqu’un qui porte une casquette à l’envers, il ne faut pas s’acharner sur une personne qui porte un smoking. Sur les réseaux sociaux, l’extrême droite s’est injustement acharnée sur Thierry Frémaux, qui s’est fait traiter d’icône du wokisme. Je n’ai pas aimé ça.

Ce 76e Festival a également été précédé d’une polémique sur la sélection de Jeanne du Barry de Maïwenn et la présence de Johnny Depp sur le tapis rouge. Une centaine d’actrices ont publié une tribune dans Libération dénonçant le fait que Cannes déroule son tapis rouge « aux hommes et aux femmes qui agressent »…

Le milieu des artistes qui signent dans Libé n’est pas mon univers…

C’est un vaste débat qui touche le milieu de la culture. La culture est votre univers, vous en avez même fait un essai…

J’ai suivi cette affaire, mais j’ai tellement vu passer ce genre de polémiques… Le Festival de Cannes doit être ce qu’il a toujours été : une manifestation qui se nourrit de ses paradoxes. C’est toute la richesse et la singularité de ce festival qu’on peut détester ou aimer, à qui on fait tous les reproches les plus contradictoires. Mais quoi qu’on en dise, les polémiques passent et le Festival de Cannes reste. On ne cesse de l’annoncer en déclin depuis des années.

Par rapport à la Mostra de Venise notamment…

Non, c’est faux. D’abord le vrai concurrent de Cannes, c’est le festival de Berlin, qui, lui aussi, a un vrai marché du film. Venise est une manifestation intéressante mais elle n’a pas du tout le même rayonnement. Ce festival n’a pas de marché ni les mêmes infrastructures de projection et je trouve qu’ils sont allés trop loin avec Netflix. Il n’y a qu’en France qu’on parle autant de Venise… Pour une raison que j’ignore, on a du mal à reconnaître qu’on a le plus grand festival culturel du monde.


« Je me méfie des postures et des injonctions morales, comme de ce maccarthysme de gauche et ce puritanisme wokiste. » David Lisnard


Pour répondre à votre question initiale : ce qui reste, ce sont les œuvres. Une œuvre résiste à son auteur, comme disait Hannah Arendt. Je me méfie des postures et des injonctions morales, comme de ce maccarthysme de gauche et ce puritanisme wokiste. Il aurait fallu donc censurer une œuvre, ne pas la sélectionner parce qu’un acteur a été mis en cause dans une affaire de divorce à l’issue de laquelle il n’a même pas été condamné ? Les tenants de cette position causent du tort aux femmes victimes de violences masculines à force de banaliser toutes les situations.

Adèle Haenel annonçait voici quelques jours quitter le cinéma parce qu’il « participe à un ordre écocide et raciste » et favorise « l’impunité des prédateurs sexuels ». Y a-t-il une telle impunité dans le monde du cinéma ?

Je ne suis ni juge ni procureur ! C’est à la justice de trancher ces affaires, c’est ce qu’on appelle l’état de droit, la seule façon de protéger les libertés. Tout le monde n’est pas coupable a priori parce qu’on a décidé qu’il était coupable. Les propos que vous me rapportez sont extrémistes, ils ne défendent pas bien la cause des femmes, c’est une posture, une sentence de la part de personnes qui ont beaucoup de certitudes.

Moi je reste à ma place de maire, je rappelle juste que la ville de Cannes a été pionnière dans la protection des femmes avec la création d’une maison d’accueil de femmes battues en collaboration avec les services de l’État, et avec une politique très forte de soutien aux victimes de violences conjugales.

Je trouve grave de disqualifier moralement des gens et des événements comme le Festival de Cannes tant que la justice n’a pas tranché. Le retrait de Mme Haenel est certainement dommageable pour le cinéma, elle a du talent… Mais je l’invite à s’engager en politique pour défendre ses idées. On ne peut pas lyncher sans procès. Et tout procès ne doit pas être un procès d’inquisition puritaine, mais établi sur la base de faits et d’éléments juridiques. Autrement, c’est la dérive potentielle vers tous les totalitarismes… Et tout ça de la part de gens qui dénoncent le fléau de l’extrême droite.

Le 19 mai dernier, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak a annoncé le plan « Fabrique de l’image » pour doubler la surface des plateaux de tournage en France ; onze studios ont été retenus, dont ceux de la Victorine à Nice. La France entend devenir ainsi le leader européen des tournages après la Grande-Bretagne. Êtes-vous satisfait de cette annonce ?

Cela fait longtemps que je soutiens une approche proactive en la matière. Il faut juste faire attention à ce que l’argent de l’État ne crée pas des distorsions de concurrence au détriment d’investissements privés. Veiller à ne pas soutenir des projets qui ne sont pas vraiment rentables ni solides dans leur tour de table financier ou dans la disponibilité du foncier. Et il y en a certains dans ce plan – je ne citerai pas lesquels –, donc soyons prudents.

La distorsion de concurrence, c’est aussi un problème dans l’événementiel. Il est scandaleux par exemple que 6 millions d’euros d’argent public soutiennent, chaque année, une manifestation, Séries Mania à Lille, qui s’est positionnée sur les dates du MIP TV alors que ce dernier existe depuis cinquante ans. Nous avions, avec le MIP TV, le premier rendez-vous mondial de l’industrie audiovisuelle, avec 100 % de financements privés.

À quels projets faites-vous allusion parmi ceux qui ont été sélectionnés ?

Je n’ai pas à le dire ici, j’ai alerté les services concernés sur certains projets dont le foncier n’était pas assuré et dont le tour de table n’était pas bouclé, on m’a garanti que ces projets seraient finalement sortis du jeu. Je le répète : il ne faut pas que des projets soient artificiellement sous perfusion publique et perturbent des investissements privés.

En quoi consiste le partenariat entre la ville de Cannes et l’organisation du festival ?

Il y a un partenariat contractuel de deux ordres. Une convention entre la ville de Cannes et l’Association française du Festival international du film de Cannes, l’Affif, présidée par Iris Knobloch ; et un deuxième partenariat entre la Semac, l’entité gestionnaire du Palais des festivals et des congrès, société de droit privé mais dont l’actionnaire majoritaire est la ville, et l’Affif. Ce partenariat prévoit la mise à disposition d’espaces et les conditions de cette mise à disposition, une durée garantie sur le mois de mai avec des dates prioritaires pour le festival. Elle apporte toute la sécurité matérielle et organisationnelle au Festival.


« Il est scandaleux que 6 millions d’euros d’argent public soutiennent chaque année une manifestation, Séries Mania à Lille, qui s’est positionnée sur les dates du MIP TV de Cannes. » David Lisnard


La ville de Cannes subventionne le Festival à hauteur de 2 millions d’euros, plus une mise à disposition logistique d’une valeur de 4,5 millions d’euros : les jardinières installées pour délimiter la circulation, les aménagements de la plage, la sécurisation de la ville…

Au total, pour la ville de Cannes, c’est un investissement de 6,5 millions d’euros par an. Mais en réalité, ce partenariat est bien plus puissant parce qu’on organise plusieurs opérations culturelles avec le festival, on travaille à l’année avec eux. La ville est cocréatrice du festival et, à ce titre, elle est membre du conseil d’administration de l’Affif.

Quelles sont les retombées économiques annuelles pour la ville en contrepartie de cet investissement ?

En effets directs, indirects et induits, on évalue les retombées du Festival de Cannes à une fourchette entre 180 millions et 220 millions d’euros. Tout au long de l’année, les retombées du Palais des festivals et des congrès est évalué à 900 millions. Donc le Festival de Cannes représente, à lui seul, environ entre 20 % et 25 % des retombées du Palais de la ville, c’est loin d’être négligeable.

Vous considérez-vous comme cinéphile ?

Je me garde des étiquettes trop prétentieuses, donc cinéphile je ne sais pas. Le premier nom qui me vient à l’esprit quand je pense au cinéma, c’est de Funès, comme beaucoup de Français. Je ne me lasse jamais de ses films, de Ah ! les belles bacchantes à L’Aile ou la cuisse, mais j’ai eu aussi des chocs en cinémathèque comme Le Troisième Homme ou Citizen Kane.

Le fait d’aller au Festival de Cannes comme administrateur depuis vingt-deux ans m’a permis de progresser dans ma cinéphilie. Par exemple, La vie est un miracle de Kusturica ou Tree of Life de Terrence Malick, qui m’ont bouleversé. Et puis à partir de mon amour pour les films populaires de Belmondo, j’ai découvert Léon Morin, prêtre de Jean-Pierre Melville, À bout de souffle de Jean-Luc Godard.

Et en tant que maire de la ville d’accueil de Canneséries, quelles sont vos séries fétiches ?

Je vais vous citer mes séries d’enfance : les saisons de Chapeau melon et bottes de cuir avec Diana Rigg, que nous avions fait venir à CanneSéries l’année précédant son décès, une très grande dame. D’autres séries m’ont marqué à vie : Cosmos 1999, Les Sentinelles de l’airLes Mystères de l’Ouest et Amicalement vôtre. BIen plus tard, j’ai redécouvert l’art des séries grâce à The Wire et The Shield, ma série préférée. Côté séries françaises, je pourrais citer Le Bureau des légendes et plus récemment B.R.I.,que j’ai trouvé plutôt bien faite.

Elle suscite l’inquiétude des artistes et créateurs de l’audiovisuel : l’intelligence artificielle est-elle une menace pour tous ces secteurs ?

C’est à la fois une immense menace et une immense opportunité. ChatGPT est enfin devenu un enjeu politique et c’est une vague inarrêtable mais régulable. Le XXe siècle a été celui de l’industrie, qui a permis l’accession aux biens matériels, l’émancipation de la femme et l’augmentation de l’espérance de vie. Mais le XXe siècle, c’est aussi la mort industrielle : la boucherie de 14-18, l’absurdité de la Shoah…

On se retrouve dans un schéma similaire au XXIe siècle : avec l’IA, on est dans une révolution comparable à la Renaissance avec de nouvelles expressions artistiques. La création d’histoires par l’IA, l’algorithmie qui permet de faire du marketing ciblé, plus une nouvelle expression artistique avec le métavers, la question de la place de l’homme se pose dans ce nouvel univers.


« Les enjeux autour de l’intelligence artificielle nécessitent un débat politique et philosophique d’une autre ampleur que celui sur les trimestres de retraite. » David Lisnard


Cette évolution remet au centre du débat la place de l’homme et il faudra une puissance philosophique et créatrice pour sortir de l’uniformité de l’algorithme. Les puissants Disney et Marvel ne sont rien à côté de ce que nous allons vivre. Des productions de masse vont émerger quasiment écrites uniquement par l’intelligence artificielle et, dans cet univers d’uniformisation, les actes de création et de rupture seront vitaux pour distinguer l’homme de l’IA la plus puissante.

L’intelligence artificielle sera la source de la plus grande émancipation possible, elle va nous permettre de soigner des cancers, de régler les problèmes écologiques… mais sa contrepartie est le risque d’un totalitarisme vertical et horizontal, un contrôle social à la chinoise. Ces enjeux nécessitent un débat politique et philosophique d’une autre ampleur que les trimestres de retraite.


Retrouvez l’article sur le site Le Point, en cliquant sur le lien suivant.

Tribune de David Lisnard et Déborah Münzer parue dans le Figaro

David Lisnard co-signataire d’une tribune pour Le Monde.

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