ENTRETIEN – En marge de son déplacement en Mayenne et en Maine-et-Loire, David Lisnard a répondu aux questions de Ouest-France.

Pour David Lisnard, la France ne peut plus faire l’économie d’un nouveau cycle. « Nous sommes arrivés au bout du bout d’une façon de gouverner. On vient de passer derrière l’Italie en création de richesse par habitant, derrière l’Espagne en industrie manufacturière. On n’a jamais dépensé autant d’argent public et on a 24 % d’urgences hospitalières saturées, qui ne peuvent plus assurer la continuité du service public. On recrute des fonctionnaires, mais il n’y en a plus sur
le terrain à cause de la bureaucratie… » Maire de Cannes et président de l’Association des maires de France (AMF), il répond aux questions de Ouest-France.
À neuf mois des élections municipales, sentez-vous un désir d’engagement chez les Français ? Le mandat d’élu local intéresse-t-il toujours ?
Difficile à dire. Nous ne sommes pas encore entrés dans le temps de la campagne. Mais la France se caractérise toujours par sa force civique, avec près de 500 000 élus locaux, dont une large majorité de bénévoles. J’ai donc le sentiment que oui, les vocations seront encore au rendez-vous en mars 2026.
Pour autant, les démissions de maires n’ont jamais été aussi
nombreuses. Comment les éviter ?
Les maires ne demandent pas à être aidés ou assistés. Ils veulent pouvoir travailler. Or, depuis une vingtaine d’années, les obligations pesant sur nous n’ont jamais été aussi fortes. Et parallèlement, les pouvoirs des maires ont été réduits. C’est l’élément fondamental de la démotivation des élus. Voilà pourquoi, en 2025, nous avons quatre fois plus de départs de maires et d’adjoints qu’en 2005. Dont beaucoup d’hommes et de femmes élus en 2020.
La faute à la bureaucratie ?
Elle nous étouffe. Le nombre d’articles du Code général des collectivités territoriales a ainsi triplé en deux décennies. Le Code de l’environnement est passé de 100 000 mots en 2012 à un million en 2022. Et cela continue. Tout cela crée une difficulté d’action juridique, mais aussi financière puisque nous avons perdu notre levier qu’est la taxe d’habitation. Et pour couronner le tout, on nous impose des règles parfois contradictoires. Depuis le 1er janvier, une loi nous demande de créer des emplois dans les crèches, mais dans le même temps, il nous faut baisser les dépenses…
L’État comprend-il le désarroi des élus locaux ?
Dans les discours, il faut le reconnaître, on est plus aimable avec nous qu’avant. Mais nous ne demandons pas à être flattés, nous ne demandons pas l’assistanat de l’État. On demande juste à pouvoir travailler. La France doit libérer l’action et la création. Bien sûr qu’il faut des normes et réglementations, mais c’est comme le cholestérol : il en faut de la bonne.
Mi-juillet, François Bayrou présentera son plan d’économies de 40 milliards pour 2026. Craignez-vous que les communes soient encore obligées de se serrer la ceinture ?
Ce que je crains surtout, c’est que ce ne soit pas un plan d’économies, mais un plan de prélèvements supplémentaires. Or, pour moi, des économies, ce sont des suppressions de charges. Je mets en garde l’État : il ne doit surtout pas s’attaquer aux capacités d’investissement des collectivités locales, représentant 75 % de l’investissement public. Moins l’État est capable de se
réformer, plus il prélève les entreprises, les ménages et les collectivités. Moins il est capable de réduire ses dépenses de fonctionnement, plus il s’attaque aux dépenses d’investissement.
Quelles sont les charges que vous souhaitez voir allégées ?
Que l’État, ses agences et directions cessent de nous imposer des études inutiles sur nos projets. Il y a quinze ans, un projet se montait en dix-huit mois. Aujourd’hui, il demande quatre ans. Ce sont des surcoûts énormes pour les collectivités. Un exemple : pour pouvoir réutiliser les eaux usées traitées de ma station d’épuration, m’en servir pour arroser les espaces verts
et les stades de foot au lieu de les rejeter dans l’eau de mer, je suis obligé tous les ans de faire les mêmes dossiers, les mêmes études. Nous avons, par ailleurs, lancé un projet de construction d’un ouvrage de rétention des eaux protégeant une partie de la population cannoise. Sur ce dossier, je n’ai aucun recours, mais on me demande une énième étude parce que la tortue Hermann vient frayer dans la zone. Or la tortue n’est pas débile. Elle a compris qu’elle va devoir se déplacer de quelques mètres !
La fin des zones à faibles émissions, est-ce une bonne chose ?
Oui, parce qu’elles n’apportent rien à l’environnement, ni à la santé publique, contrairement à ce que raconte la ministre de façon très populiste. Ces ZFE sont extrêmement pénalisantes pour les habitants concernés et extrêmement insignifiantes pour la planète.
La question des déserts médicaux sera au cœur de la campagne des municipales. Faut-il réguler l’installation des médecins ?
Réguler la pénurie ne changera rien. Toute mesure coercitive supprime des vocations. Depuis un quart de siècle, la France a voulu administrer la santé, n’anticipant pas le vieillissement de la population, la hausse des maladies chroniques et le besoin d’investissements en robotique et numérique. On le paie maintenant. Mais les choses évoluent, heureusement. La fin des numerus clausus et apertus est une bonne chose afin d’accroître le nombre de praticiens. Mais former un soignant demande du temps. En attendant, il faut libérer du temps médical aux praticiens, réduire leurs obligations administratives, lever les freins à l’installation des professionnels de santé…
Les jours de François Bayrou au gouvernement sont-ils comptés ?
Nous sommes arrivés au bout du bout d’une façon de gouverner. On vient de passer derrière l’Italie en création de richesse par habitant, derrière l’Espagne en industrie manufacturière. On n’a jamais dépensé autant d’argent public et on a 24 % d’urgences hospitalières saturées, qui ne peuvent plus assurer la continuité du service public. On recrute des fonctionnaires, mais il n’y en a plus sur le terrain à cause de la bureaucratie…
On ne peut plus faire l’économie d’un nouveau cycle.
C’est-à-dire ?
Avoir un président de la République et une majorité parlementaire alignés. Il faut sortir de l’entre-deux que nous connaissons aujourd’hui. C’est la porte ouverte à tous les démagogues, à tous les extrémistes.
Emmanuel Macron doit-il démissionner ?
Oui. Emmanuel Macron doit prendre acte de son échec. Et annoncer qu’il démissionnera dans les quatre mois afin de laisser le temps aux candidats, aux partis de s’organiser, de mener une vraie campagne. Le ou la nouvelle présidente devra, ensuite, dissoudre l’Assemblée pour avoir un Hémicycle de la même majorité.
Pour vous, il est impossible de tenir encore deux ans et d’attendre la présidentielle de 2027 ?
C’est peut-être possible par des habiletés : conclaves, Ségur, Roquelaure, conseils nationaux… mais ce n’est pas bon pour le pays. Il faut retrouver une ambition économique, sécuritaire, éducative et scientifique. On ne peut pas le faire dans la bouillie actuelle.
Dans ce contexte, que doivent faire les Républicains ? Quitter le gouvernement ?
Bruno Retailleau, qui fait objectivement du très bon travail, devra forcément partir dans les prochains mois afin de participer à une autre offre politique.
Après l’été, nous rentrerons dans une phase nouvelle.
Quel rôle national ambitionnez-vous de jouer ?
L’enjeu, aujourd’hui, est de redresser le pays. Pour cela, il faut gagner les élections. J’en appelle donc à une compétition ouverte à droite et au centre avant le premier tour de la présidentielle. Les Français trancheront. Ceux qui perdront soutiendront celui ou celle qui aura gagné ou se tairont jusqu’au scrutin. Celui ou celle qui gagnera ira jusqu’au bout avec l’intégralité de son projet.
Vous serez dans la compétition ?
Oui, parce que j’ai un projet à défendre. Dans cette primaire, il faudra accueillir tous ceux qui ne veulent pas faire perdre la droite en menant une aventure solitaire. M. Dupont-Aignan, Mme Knafo sont les bienvenus. Mais il faudra accepter le verdict. Pour isoler l’extrême gauche et l’extrême droite, il faut retrouver une confrontation forte et raisonnable entre la gauche et la droite.
À quel moment faut-il organiser cette primaire ?
Entre les municipales de mars 2026 et l’été suivant. Mais si d’ici là, il y a une nouvelle dissolution ou une démission du chef de l’État, il faudra réagir vite.
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