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Une tribune de David Lisnard et David Angevin pour Marianne, parue le 21 novembre 2023.

Une société Française spécialisée dans la veille médiatique vient d’annoncer un plan social de grande ampleur : 217 de ses 383 salariés vont être remplacés par l’intelligence artificielle. L’IA sera chargée de lire la presse et de réaliser des résumés pour les clients de l’entreprise. Face à cette « catastrophe humaine », David Lisnard, maire de Cannes et président de la Nouvelle Énergie, et David Angevin, écrivain et journaliste, appellent à une politique de l’audace numérique face à l’hégémonie américaine et asiatique.

« Une catastrophe humaine », commente à juste titre un syndicaliste. L’essor spectaculaire des IA génératives américaines comme Google BARD ou ChatGPT s’accompagne d’une légitime anxiété dans le monde du travail. Face à la plus puissante invention de l’histoire de l’humanité, le FOBO (« Fear of being obsolete »), la peur de devenir obsolète, mine les esprits.

Une technologie « exponentielle »

De nombreux Français découvrent avec consternation ce que tous les spécialistes savent depuis plus de dix ans : l’IA est une technologie « exponentielle » (son évolution n’est pas linéaire mais ultrarapide) qui va bouleverser le monde du travail, et la société dans son ensemble, de A à Z. Or rien n’a été anticipé sur le plan politique pour accompagner cette révolution schumpeterienne. Le pouvoir a eu une décennie pour préparer le pays à l’inévitable lame de fond des nouvelles technologies. Il a préféré le déni du réel : zéro anticipation du futur, zéro réflexion sur les métiers de demain, zéro réforme de l’éducation à l’ère de l’IA (pour former des citoyens non soumis aux machines et en bonne interaction complémentaire avec elles), zéro investissement massif dans les secteurs de croissance du futur. Et nous n’avons encore rien vu : les révolutions technologiques en cours et celles à venir seront une succession de tsunamis. Les remous actuels ne sont que clapotis à la surface d’un lac. Et le monde ne renoncera jamais à une technologie qui fonctionne, comme il n’a pas renoncé à l’automobile pour protéger le maréchal-ferrant.

« Une révolution technologique d’une ampleur et d’une rapidité sans précédent dans l’histoire »

« Qui aurait pu prévoir ? », nous dira encore le Président Macron, quand la convergence IA et robotique révolutionnera des pans entiers de l’économie française. Dès le début du premier mandat Macron, Hervé Morin et l’ensemble des douze Présidents de région alertaient le Président sur le décrochage de la France dans une tribune transpartisane : « Le monde est aujourd’hui confronté à une révolution technologique d’une ampleur et d’une rapidité sans précédent dans l’histoire, prévenaient-ils. Des secteurs économiques que certains pensaient pérennes pour l’éternité se sont effondrés, à l’image du géant Kodak qui n’a pas su anticiper la photographie numérique. Si l’Europe a raté la grande disruption de l’Internet, dont nous sommes aujourd’hui les clients plus que les acteurs, elle ne peut pas se permettre de manquer les prochaines révolutions, comme l’intelligence artificielle ou la médecine personnalisée. Les plus grands bouleversements ne sont pas derrière nous, mais devant nous ». À cette tribune salutaire publiée dans le Monde, appelant à un urgent sursaut de la France et de l’Europe, le nouveau président de la République, pourtant autoproclamé « disruptif », ne répondit pas. Il se contenta de satisfaire ses alliés technophobes en fermant la centrale nucléaire de Fessenheim.

Cette politique politicienne d’un autre âge, qui se préoccupe moins des prochaines générations que du prochain sondage d’opinion, a des conséquences dramatiques : le futur s’invente ailleurs, et la France et l’Europe sont aujourd’hui des colonies numériques de la zone Asie-Pacifique et des États-Unis. Aucun géant de la tech n’est européen. De plus en plus obèse et passif sur ses missions essentielles, l’État préfère réguler de manière soviétique ce qui peut encore l’être, légiférer sur les punaises de lit ou accorder des « aides » aux réparations de chaussures.

La France est en panne d’un grand projet politique ambitieux

L’esprit de conquête doit à nouveau guider l’action politique. Il y a plus de cent ans, l’aéronautique, l’électricité, la chimie, l’automobile, le téléphone ou encore le cinéma sont nés en Europe. Aujourd’hui, nous sommes des suiveurs. Qui ne suivent plus. La France est en panne d’un grand projet politique ambitieux et courageux pour affronter la Révolution industrielle la plus puissante de l’Histoire. Le déclin actuel n’est pas une fatalité, mais la conséquence de la soumission a l’irrationalité de l’idéologie effondriste, axée sur la peur et le repli sur soi, qui fait tant de mal à notre pays et notre continent. Nous avons tous les talents pour que l’Europe redevienne une grande puissance technologique. Transformer les défis de l’IA et de la robotisation en opportunités de développement économique constitue un enjeu majeur du prochain quinquennat. Il en va de la prospérité du pays, de notre souveraineté, donc de notre liberté et de notre sécurité, comme du financement de notre modèle social menacé par une croissance exsangue et plus de 3000 milliards d’euros de dette publique. Le « n’importe quoi qu’il en coûte » aura financé à peu près tout, sauf les solutions scientifiques à la lutte contre le réchauffement climatique ou le stockage de l’énergie.

IA forte, robotique (fin du travail pénible), fusion nucléaire (énergie propre et gratuite), ordinateur quantique, biotechnologies (lutte efficace contre le cancer), nanotechs (désalinisation de l’eau)… Jamais l’humanité n’a été confrontée à des défis aussi enthousiasmants et en voie de disposer d’outils aussi puissants. Orienter notre destin à long terme devient la tâche politique la plus cruciale. Face à cette nouvelle Renaissance, qui ouvre des perspectives économiques importantes à ceux qui en prendront le leadership, qui devraient nous pousser à investir dans l’avenir, la France et l’Europe sont en retrait. Dans un contexte anxiogène de croissance faible, d’ensauvagement de la société, de démagogie politique de droite comme de gauche, la peur du lendemain a remplacé l’esprit de conquête. Nous avons pourtant toutes les raisons d’être optimistes, à condition de sortir du statu quo et du « en même temps » mortifère.

Faire de la politique ne peut plus seulement consister à gérer le présent

Face au nouveau monde qui se dessine, la réforme politique la plus urgente est celle de l’instruction et de la formation. Nous continuons à former à des métiers automatisables qui vont disparaître. Il convient de favoriser les fondamentaux et les “softs skills” (culture générale, sens critique, créativité, vision systémique du monde…) pour former des citoyens autonomes et complémentaires des algorithmes. Savoir “décoder le monde” sera demain plus utile que de connaître le code informatique, tache répétitive que le ChatGPT du futur fera en un centième de seconde.

Deuxième urgence absolue : mener des investissements massifs dans les secteurs de croissance du futur, à la hauteur de ceux de la zone Asie-Pacifique et des Etats-Unis, pour que le futur s’invente chez nous. Il est impératif de créer une DARPA à l’échelle européenne. Cette structure de recherche publique américaine est à l’origine de nombreuses inventions (dont internet ou le GPS), qui expliquent l’hégémonie américaine.

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