
DIEU DANS LES YEUX. Son catholicisme, l’esprit Charlie, le débat sur la fin de vie… Pour la première fois, David Lisnard se confie sur ses interrogations spirituelles pour Le Point.
Président de l’Association des maires de France, le maire de Cannes David Lisnard est de plus en plus présent sur la scène nationale, et son nom revient désormais à chaque changement gouvernemental. Avec 2027 en ligne de mire, il ancre dans le pays son mouvement Nouvelle Énergie, multiplie les rencontres avec les Français et arme son projet pour renouveler le logiciel de la droite.
e fougueux quinquagénaire, libéral et pragmatique, aligne les propositions de façon ciblée, sur l’inflation normative, le poids de la bureaucratie, l’insécurité, l’incivisme, la culture, le latin à l’école… Mais il ne s’était jamais confié sur un sujet intime : sa relation au spirituel. Il le fait dans cet entretien pour la première fois, de façon très personnelle, et sans éluder les questions qui fâchent, notamment le débat sur la fin de vie, qui doit revenir bientôt devant l’Assemblée nationale.
Le Point : Vous menez une action politique qui met en avant le pragmatisme et l’efficacité. Portez-vous un intérêt au spirituel ?
David Lisnard : Oui. Les deux, bien évidemment, ne sont pas incompatibles. Plutôt que de pragmatisme, je préfère parler, pour l’action municipale et mon projet politique, de réalisme. Et la spiritualité permet de mieux appréhender la réalité en la rattachant à un sens. Par exemple, rénover un beau bâtiment historique est à la fois très concret et lié à une transmission, à une âme collective. Mener une politique sociale fine et individualisée renvoie à des valeurs, un esprit commun. L’être humain n’est pas que matériel, qu’un allocataire ou un consommateur. La nation, selon l’acception habituelle que l’on retient de Renan, est un souffle collectif, un destin et un avenir communs, mais aussi un héritage. Le civisme, essentiel pour qu’une société tienne, a besoin de cohérence civilisationnelle entre les individus qui composent le groupe. Inversement, une spiritualité qui ne serait pas ancrée dans une réalité agissante deviendrait inhumaine. Car la politique est par essence le domaine des choses concrètes.
La spiritualité est une dimension importante pour vous ?
Oui, elle est importante. Mais de l’ordre de l’intime. J’essaye de rester pudique dans mon expression de ces questions. Mon rapport à la religion a connu des hauts et des bas. J’en parle ici pour la première fois parce que je pense que quelqu’un qui est mandaté par des citoyens n’a pas à esquiver et cacher qui il est. Mais avec beaucoup de précautions. Il ne s’agit pas d’exhiber une intimité, mais plutôt de révéler une part d’intériorité, ce qui aide à la connaissance de la personne que je suis pour ceux qui m’ont mandaté. La relation de confiance avec les habitants vient de la constance de l’action, et celle-ci dépend de l’intériorité que vous cultivez. Dans la vie politique, il faut sans cesse s’adapter aux circonstances tout en restant soi-même. Et la spiritualité aide à y parvenir.
D’où vous vient cette inclination pour le spirituel ? De votre éducation ?
J’ai reçu une éducation religieuse catholique. Ma mère va régulièrement à la messe, sans être « cul béni ». Elle a beaucoup de pudeur par rapport à ça. Mon grand-père paternel était très pratiquant et il m’arrivait, à Cannes, de l’accompagner à l’église du Suquet ou à la chapelle de la Miséricorde. Petit, je fréquentais l’église Saint-Pierre à Limoges. Disons que j’ai reçu le catholicisme en héritage, un héritage évident, a minima culturel. Et je n’oublie pas que le christianisme fait partie de notre patrimoine commun depuis Clovis.
Vous avez été scolarisé dans un établissement public ou privé ?
J’ai été élève exclusivement à l’école publique et laïque. Jamais dans un établissement privé. Mais j’allais à l’aumônerie jusqu’en classe de troisième. Si je suivais les cours de catéchisme, ceux-ci présentaient pour moi un attrait surtout philosophique. J’ai été baptisé, j’ai fait ma communion, ma profession de foi, ma confirmation. Mais, à l’époque, j’étais davantage attiré par le punk, le rock et les filles. Je m’intéressais davantage aux seins des femmes qu’aux saints canonisés.
Aujourd’hui, vous allez à la messe ? Il vous arrive de prier ?
Oui.
On vous sent réticent à parler de religion…
C’est vrai. Il y a un certain embarras. D’abord, vis-à-vis de moi-même, par pudeur, comme je vous le disais. Et je n’aime pas du tout la dérive exhibitionniste qu’a prise la politique. Ensuite, vis-à-vis des autres : je veille avec attention à ce que cette intériorité n’exclue pas les autres. Élu, je dois servir chacun avec impartialité. Pour moi, la spiritualité peut prendre des formes multiples. Elle peut être religieuse, et celle-ci appartient aux croyants en Dieu. Mais il existe aussi une spiritualité commune, quelles que soient les croyances des uns et des autres, qui permet la concorde, favorise un sentiment d’appartenance à la nation et permet aussi de résister à l’adversité ou à l’oppression. Si nous vivions en France ce que vivent les Ukrainiens actuellement, serions-nous en capacité de faire face ?
Que voulez-vous dire ? Que nous avons perdu nos forces spirituelles ?
Bien sûr, en tout cas, on se pose la question. Comme le pape Jean-Paul II déjà, en 1980, nous l’avait posée, en nous interpellant lors de sa grande messe au Bourget : « France, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Je ne suis pas exclusif dans la transcendance. La transcendance républicaine, cela existe aussi. Il me semble que les deux spiritualités, religieuse et républicaine, peuvent s’entendre. Mais sachons considérer ce que nous devons au christianisme ! La notion de dignité humaine et d’universalisme nous vient de cet héritage. Ce n’est pas pour rien si les deux pays qui ont une approche universelle, à savoir la France et les États-Unis, sont pétris de religion. Cela risque de faire mal aux bouffeurs de curés, mais il faut bien souligner que l’universalisme républicain qui doit tous nous rassembler se situe dans la lignée de la parole de Jésus.
Dans le christianisme, les êtres humains sont égaux car ils ont été créés à l’image de Dieu. Et inversement, puisque Dieu s’est fait homme. C’est toute la grandeur du mystère de l’incarnation. Il n’y a pas de hiérarchie entre les peuples et les individus, ce qui tranchait à l’époque avec l’organisation des sociétés gréco-romaines. Le christianisme met l’accent sur la personne humaine. « Aime ton prochain comme toi-même », enseigne-t-il. Ou encore : « Aimez vos ennemis », comme on peut le lire dans l’Évangile selon Matthieu. J’aime beaucoup la parabole du bon samaritain, elle renvoie à la responsabilité individuelle, qui doit être plus forte que les étiquettes et les hiérarchies sociales. Les notables religieux ne reçoivent pas plus de compassion de la part du Christ que le dernier des derniers.
Vous devenez de gauche ?
Les Évangiles ne sont ni de gauche ni de droite : ils sont universels. Je suis un libéral et, pour vous provoquer, je pense que Jésus l’était aussi, comme l’avait écrit Charles Gave. Le texte sur le bon samaritain met l’accent sur le volontarisme individuel. La parabole des talents fait l’apologie de l’investissement et du risque. Tout comme celle des ouvriers de la 11e heure, où l’on voit un propriétaire terrien rémunérer ses ouvriers dans une approche contractuelle. C’est libéral comme approche, non ? Et puis, la gauche serait-elle la seule à pouvoir parler de dignité et de liberté ? Je ne crois pas. L’Histoire nous prouve d’ailleurs le contraire.
Que pensez-vous du pape François ?
Sa nécessaire et pertinente prise en compte à l’échelle planétaire des réalités démographiques et spirituelles actuelles ne doit pas lui faire moins aimer l’Occident en général, la France en particulier, que le reste de l’humanité. J’avoue que j’étais impressionné par les textes puissants de son prédécesseur Benoît XVI.
Vous avez beaucoup lu de textes religieux ?
Je m’y suis intéressé avec l’âge, à partir de 25-30 ans. J’ai lu les Évangiles à deux reprises, enfant, puis plus récemment, ainsi que les Actes des apôtres. Saint Jean et saint Augustin, ce sont des écrits d’une poésie sublime qui ouvre à l’élévation. L’Apocalypse de Jean est un texte étourdissant de beauté, d’une densité qui le rend presque sensoriel. J’ai pour devise la formule de saint Augustin : « Avance sur ta route, car elle n’existe que par ta marche. » C’est une phrase belle, juste et qui, en plus, célèbre la responsabilité individuelle.
Y a-t-il d’autres auteurs chrétiens que vous appréciez ?
Georges Bernanos, évidemment, que je relis en ce moment. La Joie, Sous le soleil de Satan, Le Temps des robots, Le journal d’un curé de campagne… Magnifique ! J’apprécie aussi le dialogue inachevé qu’entretient avec la religion Michel Onfray l’athée. L’introduction à son petit livre Patience dans les ruines. Saint Augustin Urbi et Orbi, je rêverais de l’avoir écrite. Je garde une émotion de lecteur à propos de La Nuit de l’extase de Xavier Patier, un écrivain qui est aussi directeur général d’une collectivité publique. Le Pascal et la proposition chrétienne de Pierre Manent m’a fortement intéressé.
Pour quelles raisons ?
Parce que de façon analytique et rationnelle, Pierre Manent démontre la persistance de l’approche pascalienne des dogmes chrétiens et l’influence qu’ils continuent d’exercer dans la société européenne, comme substrat civilisationnel.
Vous ménagez-vous des espaces d’intériorité ?
Dès que je le peux. Je les trouve dans la lecture, je lis tous les jours ou plutôt les nuits. Mais aussi dans l’action quotidienne. Dans les rencontres avec les gens, il y a des moments de grâce. C’est ce que j’aime dans l’exercice du mandat municipal. L’intériorité, on peut la trouver et la cultiver partout. En allant à la messe, on peut tomber sur une homélie qui vous parle, se laisser émouvoir simplement par un rayon de soleil sur un vitrail. J’ai un côté panthéiste chrétien. Je peux trouver Dieu dans une forêt, une montagne, en marchant en bord de mer, dans la beauté d’un opéra de Mozart, dont les agencements dépassent la condition humaine, comme dans un morceau des Clash.
Par les fenêtres de votre bureau, à la mairie de Cannes, vous pouvez apercevoir les îles de Lérins, et leur merveilleuse abbaye. Vous est-il arrivé d’y faire une retraite ?
Oui, une fois, avant de prendre mon mandat de maire. Je ne peux pas affirmer qu’il y eut un avant et un après cette retraite, mais ce fut un beau moment.
Avez-vous regardé la cérémonie d’ouverture de Notre-Dame de Paris ?
Non, je l’avoue, parce que j’étais parti dans un pays voisin participer à une compétition de course à pied. J’en ai vu des extraits. J’aime bien la communion mais j’ai du mal avec les grandes messes.
Le spirituel peut-il réarmer la pensée politique, qui semble en panne d’idées et d’énergie ?
Oui, si l’on ne tombe pas dans une mystique, et que l’on reste dans une démarche tournée vers l’humain et universelle. Pour moi, un individu qui ne cultive pas de spiritualité est sec. Individuellement et collectivement, on a du mal à s’élever sans espérance, charité et foi, qui sont les trois vertus théologales. Mais, je le répète, je ne borne pas le spirituel à la dimension religieuse. La France est une transcendance.
La laïcité est-elle menacée en France ?
Oui, bien sûr et hélas. La laïcité est précieuse car, si elle ne fait pas une spiritualité commune, elle garantit la liberté religieuse comme la neutralité de l’État et le respect, au-dessus de toutes les croyances, des principes et règles de la République française. Bien comprise et bien vécue, elle est un outil de liberté, d’égalité et de fraternité, donc d’esprit républicain, commun, de cohésion nationale et de protection d’un mode de vie propre à la France. La laïcité est attaquée à l’extérieur par les Anglo-saxons, qui ne la comprennent pas, et à l’intérieur, par tous les séparatismes. Le plus dangereux est bien sûr l’islamisme, car il est lié à la dynamique démographique de l’immigration et à une théo-idéologie très organisée et totalitaire.
Vous avez été l’un des premiers maires en France à interdire le burkini sur les plages, c’était à l’été 2016. Comment percevez-vous en tant que maire aujourd’hui la montée de l’islamisme ?
Chacun doit pouvoir vivre sa foi. Mais celle-ci ne doit pas créer de troubles à l’ordre public et s’imposer aux autres, ainsi évidemment qu’aux lois. Elle doit respecter le contrat social français, à savoir que nous devons tous vivre dans « une décence commune », selon la formule d’Orwell. Nous avons éradiqué dans ma ville la pression du burkini dans les piscines municipales, mais on voit bien que les comportements communautaristes et les réflexes identitaires se généralisent. Le séparatisme est une réalité. Les organisations islamistes, et notamment les Frères musulmans, font un travail méthodique pour imposer leur mode de vie en France. On le constate dans les clubs de sport, dans les espaces publics. Une logique de conquête est à l’œuvre. Elle doit être implacablement contrée, sans les autoflagellations et débats sur le sexe des anges dont nous avons le secret en France.
Ce qu’on a appelé « l’esprit Charlie » relève-t-il d’une spiritualité laïque ?
Dans une certaine mesure, oui, car cela renvoie à l’adhésion à des principes républicains et traits d’esprit français qui réunissent des individus divers. C’est une forme de spiritualité commune donc, autour de la liberté d’expression, de la liberté religieuse, mais aussi de celle de se moquer de la religion, de la tolérance, de l’acceptation de l’offense sur les croyances, d’une culture de la raillerie et de la caricature, qui sont le fruit à la fois d’une longue et tumultueuse histoire française et d’une approche de la laïcité qui contribue à garantir tout cela.
Plutôt que de « spiritualité laïque », expression qui peut prêter à confusion, je préfère donc parler de l’attachement collectif à une forme française et républicaine d’universalisme, forgée dans le cadre d’une société effectivement laïque, qui relève d’une adhésion commune à des droits et des devoirs, à un mode de vie, en transcendant les croyances personnelles.
Enfin, je l’ai dit et je le redis : si je n’apprécie pas toutes les caricatures de Charlie Hebdo, et certaines peuvent me choquer profondément, c’est précisément parce que je veux pouvoir être choqué que « je suis Charlie ». C’est dans un pays où la liberté religieuse est garantie et où la liberté d’en rire – y compris avec mauvais goût – l’est tout autant que l’esprit Charlie prend tout son sens.
Faut-il relancer la proposition de loi sur la fin de vie, comme le veut la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet ?
C’est un sujet difficile et délicat. J’ai été confronté récemment chez moi à cette situation bouleversante de fin de vie très douloureuse pendant plusieurs mois. Cela a forgé ma conviction : je ne suis pas favorable à une telle loi. Introduire un droit à l’aide active à mourir ne serait pas une simple modification législative, mais un basculement anthropologique majeur. Les exemples étrangers montrent que même avec les meilleures intentions, ces dispositifs engendrent des dérives inquiétantes (en Belgique, au Canada, en Suisse) et, je crois, graves. La loi Claeys-Leonetti offre un cadre équilibré. Elle garantit un respect fondamental de la dignité humaine, sans pour autant franchir des frontières éthiques dangereuses, comme l’euthanasie ou le suicide assisté qui en est une forme.
Aujourd’hui, l’urgence est de répondre à une carence dramatique : seulement 50 % des besoins en soins palliatifs sont couverts. Avec 7 500 lits dédiés et un déficit d’au moins 4 000 lits spécialisés, des milliers de familles voient leurs proches privés d’un accompagnement digne. À cela s’ajoutent des disparités territoriales inacceptables : à la fin de 2023, 21 départements n’étaient toujours pas dotés d’unités de soins palliatifs. Investir dans l’accompagnement humain, le soulagement de la douleur et la recherche médicale est une responsabilité sanitaire et éthique que nous ne pouvons esquiver.
Permettez-moi une dernière réflexion : je n’apprécie pas du tout l’expression « droit à mourir dans la dignité » qu’ont réussi à imposer dans le débat les promoteurs de l’euthanasie – terme d’ailleurs qu’ils ne prononcent jamais. Quand j’ai accompagné un de mes parents à l’agonie en fin de vie, quand aussi je vois dans les Ehpad de ma ville des personnes âgées en dégénérescence physique ou en état de démence, je ne vois pas des personnes indignes, mais des personnes humaines, à soutenir. L’indignité n’est pas là, elle est dans nos lâchetés quotidiennes ou nos comportements de duplicité. Et pour revenir à la fin de vie, ce qui est indigne est de ne pas traiter la souffrance, et là-dessus ceux qui proposent une nouvelle loi ont été utiles en nous obligeant à regarder cette réalité. Techniquement, nous pouvons supprimer la souffrance de la personne en fin de vie, et nous le devons moralement. Ce que permet la législation actuelle.
L’agonie, la dégénérescence de l’être aimé ne doivent pas conduire à la facilité de l’euthanasie. Et puis, qui décide d’appuyer sur le bouton ? J’ai vu un malade âgé demander au summum de ses souffrances à ce qu’on l’aide à partir, puis être de façon inattendue en rémission et dire à ses enfants qu’il avait retrouvé la joie et le goût de vivre. C’est la souffrance de la personne à l’agonie, le problème.
Notre devoir est de construire une société qui honore la dignité humaine, non en abandonnant ses membres dans leur vulnérabilité, mais en les entourant de soin et de soutien.
Quelle est votre position à propos des polémiques qui reviennent régulièrement sur les racines chrétiennes de l’Europe ?
Ce sujet ne fait polémique que dans certains milieux. J’ai autour de moi des croyants de toutes religions, des agnostiques, des athées, et, pour tous, la question est entendue : les racines chrétiennes de l’Europe sont indéniables, une évidence à assumer et perpétuer. Mais elles ont été nourries par l’apport d’autres cultures. Donc en parler dans un texte institutionnel nécessiterait des compléments. L’essentiel est ailleurs. J’aime parcourir mon pays, et je vois les fruits qu’a donnés cet arbre qui plonge ses racines dans le christianisme. Ces clochers que l’on voit partout en France et ces carillons que l’on entend, nos valeurs universelles, la capacité d’acceptation de l’autre, tout cela nous vient essentiellement du christianisme, ne l’oublions pas.
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