« Si la présidence de la République voulait se caricaturer en ministère de la vérité, elle ne s’y prendrait pas mieux »

Pour David Lisnard, la volonté d’Emmanuel Macron de labelliser la liberté d’expression touche au socle de notre démocratie. Une tribune parue dans le Figaro.

le 03 décembre 2025
FIGARO

La liberté d’être informé est consubstantielle de la démocratie. Cette liberté est menacée et même attaquée par les effets de meute, amplifiés par l’opacité algorithmique, les ingérences extérieures, les fausses nouvelles. Le président de la République, comme tant d’autres, a raison de soulever le problème mais ce qu’il propose est pire que le mal, car immanquablement liberticide. En démocratie, nul ne peut avoir le monopole de décréter la vérité. La liberté d’expression n’est pas une clause accessoire de nos institutions. Elle n’est pas un supplément d’âme pour temps de confort. Elle est l’axe autour duquel tourne toute société civilisée et libérale, parce qu’elle seule permet au vrai et au faux de se confronter sans violence, à la raison de surgir du débat et non de la contrainte, à l’individu d’exister comme être libre et responsable.

C’est pourquoi les mots du président de la République sur la possible création d’un label distinguant les bons médias des autres ne relèvent pas d’un gadget technocratique. Ils touchent au socle. Une démocratie ne tient pas par des filtres préalables, mais par la maturité de son peuple, la rigueur de son droit et la dignité de ses représentants. La publication sur X de l’Élysée, proposant un montage grossier pour dénigrer ceux qui contestent sa parole, est indigne. Si la présidence de la République voulait se caricaturer en ministère de la vérité, elle ne s’y prendrait pas autrement. Derrière ce vocabulaire lisse de labellisation se glisse une vision dangereuse du rôle de l’État, qui n’est pas de désigner ceux qui choisissent les paroles autorisées, mais de protéger l’espace où elles se confrontent.

Cette tentation n’est pas nouvelle : l’histoire abonde de pouvoirs persuadés de détenir le sens. Galilée fut condamné parce que les pouvoirs de son époque refusaient qu’une vérité nouvelle puisse contredire un ordre établi. Non parce qu’il avait tort, mais parce qu’une autorité avait décidé qu’elle seule disait le vrai. Le vrai n’a jamais besoin de censeurs. Il a besoin de contradiction. Le faux ne se combat pas par le monopole, mais par l’intelligence. Le pluralisme est une force précisément parce qu’il induit que des idées étranges, minoritaires, iconoclastes, puissent surgir. L’uniformité ne produit que stagnation et servitude.

Le droit existe, il doit être appliqué

Année après année, les déclarations d’Emmanuel Macron révèlent une pente malsaine qui confond ordre et contrôle, responsabilité et permission. Sa conception des médias et des réseaux sociaux nous ferait glisser d’un régime républicain fondé sur la liberté vers une société d’autorisations administratives, multipliant filtres, normes, suspects. Une telle dérive n’est ni moderne ni protectrice. Elle constitue une régression.

Comment dès lors adapter notre démocratie aux attaques de notre époque sur l’information ? Nul ne conteste la réalité des ingérences étrangères, des manipulations automatisées, des rumeurs virales qui troublent l’esprit public. Mais, dans une nation libre, les remèdes doivent être à la hauteur des principes. La loi de 1881 offre un cadre clair et pertinent. Elle permet de sanctionner, rapidement et fermement, la diffamation, le racisme, l’atteinte à l’ordre public. Le droit existe. Il doit être appliqué. Ce qu’il ne faut surtout pas, c’est remplacer la responsabilité par l’autorisation préalable, inviter une instance agréée par le pouvoir à distribuer les certificats de bonne pensée, à distinguer les voix légitimes et les voix suspectes.

Face au tumulte des rumeurs et aux manipulations, il convient de renforcer une justice rapide et rigoureuse, dotée de moyens réels. Surtout, les solutions passent par un travail patient et massif de formation de l’esprit, par la lecture, la culture, l’apprentissage du jugement. La raison critique doit être enseignée dès le plus jeune âge. Il est nécessaire aussi de garantir une transparence algorithmique minimale, avec la publication d’indicateurs clés nécessaires à la transparence du marché, de sanctionner réellement, mais uniquement, les comportements illicites, d’identifier ce qui est produit par l’IA et porte atteinte à la réputation des individus, dans une logique de respect des droits de propriété et à l’image.

Nous n’avons pas besoin d’un label de vérité. Nous n’avons pas besoin non plus que l’État remette de « la hiérarchie dans l’espace public », pour reprendre les mots délétères du président de la République. Nous avons besoin d’un pays qui croit encore à la liberté de penser, de dire, de contredire. Nous avons besoin de citoyens debout, non de sujets triés par degrés de respectabilité médiatique. Aussi improbable que cela ait pu être imaginé, nous voici désormais au seuil d’alerte qui nécessite toute notre vigilance, notre combativité et notre vigueur démocratique. Le pluralisme de l’expression constitue la première condition pour qu’une information crédible et de qualité puisse vivre. C’est aussi le premier rempart contre les dérives du pouvoir. La liberté n’a pas à être autorisée. Nous nous battrons sans limite pour elle.

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de Nouvelle Énergie et David Lisnard