Ne faisons pas de la laïcité un renoncement

La loi de 1905, véritable chef d’œuvre d’équilibre politique, célèbre ses 120 ans. Si le mot « laïcité » ne sera consacré que plus tard par les textes constitutionnels de 1946 et 1958, elle énonce des principes concrets – non-reconnaissance et non-subvention des cultes – et fait de la liberté son principe : liberté de l’État face aux Églises, liberté des consciences face à l’État, liberté des cultes dans le respect de l’ordre public. Une tribune de David Lisnard parue le 9 décembre 2025, jour d’anniversaire de la loi de 1905, sur Rupture-Mag.

Liberté le 09 décembre 2025
120 ANS LOI

Pourtant, cette loi de sagesse subit depuis quelques années un détournement systématique et la République fait face à une instrumentalisation de ce principe fondateur. Ce qu’Aristide Briand avait conçu pour pacifier les rapports entre l’État et les Églises sert désormais à nier ce que nous sommes, ce qui n’était pas son objet.

L’objectif initial de ce texte, après vingt-cinq ans d’affrontement, était clair : protéger la conscience de chacun en séparant les pouvoirs religieux et politiques. Il ne fut jamais question, dans l’esprit de Briand, de nier l’identité historique du peuple français, construite sur un socle judéo-chrétien. Et la neutralité de l’État ne devait pas se transformer en négation de cette réalité.

S’il refusait d’imposer une confession particulière, il refusait tout autant d’effacer quinze siècles d’histoire.

Car il faut le comprendre : la laïcité n’est pas une fin en soi mais un moyen au service de la liberté. Elle garantit que l’État ne dictera pas au citoyen ce qu’il doit croire. Elle le protège de l’emprise du pouvoir spirituel. Elle assure que personne ne sera contraint dans sa foi. Mais cette liberté ne surgit pas dans un vide civilisationnel. Elle suppose un cadre qui la rend possible et lui donne son sens.

Ce cadre, c’est précisément notre héritage judéo-chrétien. Celui-ci, en France, est lié à la pensée grecque et au droit romain, puis, d’une certaine façon, génère l’esprit des Lumières qui certes en contestera le magistère mais en consacrera les valeurs d’universalisme et de dignité de la personne humaine. C’est le christianisme qui, le premier, a distingué le spirituel du temporel. C’est lui qui participera culturellement à l’évènement de la notion d’un individu souverain, libre et responsable. La parole évangélique « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » a fondé la possibilité même d’une séparation des pouvoirs, développée plus tard par Saint-Augustin. Elle a créé l’espace conceptuel dans lequel la laïcité pouvait naître. Seul l’Occident chrétien a produit cette dualité qui permettra l’émergence d’un État laïc.

La laïcité française accomplit donc, après bien des siècles il est vrai, ce que le christianisme a rendu pensable : la possibilité pour l’individu d’être citoyen sans que sa foi privée ne détermine son statut public. Cette liberté de conscience s’enracine dans la conception chrétienne de la personne humaine, dotée d’une dignité inaliénable.

 

Prétendre que la laïcité exige d’oublier, voire de nier et même de combattre cet héritage, c’est scier la branche sur laquelle elle repose. C’est transformer un acquis civilisationnel en concept abstrait manipulable à merci au détriment de la nation française. Sans la reconnaissance de ce terreau historique, la laïcité devient une coquille vide que chacun peut remplir selon ses intérêts. Et c’est précisément ce qui se produit aujourd’hui.

Briand le savait. Durant les débats de 1905, il a dû combattre sur deux fronts. Contre les catholiques opposés à la séparation, certes. Mais aussi contre les anticléricaux extrémistes de son camp qui proclamaient « l’incompatibilité entre l’Église et tout régime républicain » et affirmaient que « tant que l’Église n’aura pas entièrement disparu, notre tâche ne sera pas achevée ».

Briand a tenu bon, refusé une loi « braquée sur l’Église comme un revolver », selon ses propres termes, et conclu les débats en rappelant que la majorité avait accordé aux catholiques « tout ce que raisonnablement pouvaient réclamer vos consciences : la justice et la liberté ».

Aujourd’hui, une double offensive converge pour détruire cet équilibre. D’un côté, l’idéologie woke issue du multiculturalisme anglo-saxon transforme la laïcité soit en instrument de discrimination soit en outil d’ « annulation » de l’héritage chrétien. De l’autre, l’islam politique la perçoit comme un obstacle à abattre. Les deux s’allient objectivement dans une même entreprise de démolition de l’universalisme républicain.

Dans les années 1990, des courants intellectuels inspirés par le multiculturalisme ont commencé à promouvoir une « laïcité de reconnaissance » qui remet en cause la frontière classique entre sphère privée des convictions et neutralité de l’espace public.

Ses promoteurs prétendent prolonger l’esprit libéral de la loi de 1905. Or, c’est une lecture anachronique et infidèle à l’intention originelle du législateur.

Briand défendait la liberté de conscience dans un cadre civilisationnel assumé, mais il n’a jamais demandé à la République de reconnaître publiquement toutes les revendications identitaires. Il n’a jamais transformé la neutralité de l’État en obligation positive d’accueillir et de légitimer dans l’espace public tous les codes culturels religieux ; il garantissait la liberté des cultes, pas un droit général à la reconnaissance identitaire.

Cette dérive multiculturaliste a ouvert la voie à des positions plus radicales encore. Le courant décolonial récuse aujourd’hui la laïcité, dans laquelle il voit une « expression du pouvoir blanc ». Il défend l’autonomie des groupes communautaires et leur droit à imposer leurs normes religieuses.

Le paradoxe est saisissant. Les mêmes qui s’offusquent d’une crèche sur un village de Noël au motif qu’elle violerait la neutralité de l’espace public restent silencieux face aux revendications islamistes les plus fanatiques. Cette laïcité à géométrie variable est une capitulation déguisée en tolérance. Elle frappe avec zèle les symboles de notre héritage et s’agenouille devant les offensives qui le contestent et servent objectivement l’islam politique.

Des groupements religieux se sont succédé pour structurer cette offre : le Tabligh d’abord, le mouvement des Frères musulmans ensuite, puis les groupes salafistes. Leur objectif est clair : immuniser les jeunes musulmans contre l’influence de l’école républicaine, empêcher ce qu’ils nomment « l’aliénation culturelle ». Autrement dit, empêcher l’intégration. Sans même parler de l’assimilation, hélas abandonnée depuis trop longtemps.

Selon le dernier sondage IFOP de novembre 2025, 38 % des musulmans de France approuvent désormais tout ou partie des positions islamistes, contre 19 % il y a trente ans.

Chez les musulmans de 15 à 24 ans, les chiffres sont plus éloquents encore : 59% pensent que la charia doit être appliquée en France, 57 % estiment que les règles religieuses doivent primer sur les lois de la République, 42 % se disent proches d’une « mouvance islamiste ».

Ces chiffres révèlent l’émergence d’une contre-société organisée selon des normes religieuses distinctes, voire opposées, à celles de notre nation.

Les idiots utiles de l’islamisme, qui utilisent la laïcité dévoyée pour légitimer cette balkanisation culturelle et religieuse au nom de l’inclusivité et de la lutte contre les discriminations, travaillent objectivement à la déconstruction de cette même laïcité. Tout comme les anti-cléricaux de 1905 voulaient détruire l’Église au nom de la République, ils entendent détruire la République au nom du multiculturalisme.

Le djihad judiciaire mobilise tribunaux et instances internationales pour attaquer les pouvoirs publics et intellectuels. L’islam politique utilise toutes les armes à sa disposition, en commençant par accuser d’islamophobe tout opposant, cherchant ainsi à faire taire toute critique en l’assimilant à du racisme et en accrochant une cible dans le dos de la personne incriminée.

Samuel Paty a été assassiné en 2020 non pas parce qu’il enseignait la neutralité, mais parce qu’il osait enseigner la liberté d’expression, cette valeur profondément ancrée dans notre conception judéo-chrétienne de la personne humaine. Dominique Bernard a été tué pour le même crime : avoir transmis, à travers la littérature française, une vision du monde que d’autres considéraient comme incompatible avec leurs convictions religieuses.

Ces morts exigent de nous clairvoyance et courage. La France n’est pas un marché où tous les projets civilisationnels se valent. Elle n’est pas une page blanche où chacun pourrait écrire son propre système de normes. C’est une nation avec une histoire, des fondations, une âme. Elle a le droit de les défendre. Elle en a le devoir.

L’universalisme républicain ne nie pas les différences. Il les rend possibles en les situant dans la sphère privée. Il protège les libertés individuelles contre l’emprise des groupes. Il garantit que personne ne sera assigné à une communauté, enfermé dans une identité, soumis à une autorité religieuse.

Assumer notre identité n’est donc pas trahir la laïcité. C’est la comprendre dans sa profondeur. La France laïque n’est pas une France amnésique. Elle est une nation qui accueille toutes les croyances à condition qu’elles acceptent ses fondements, qui ne sont pas négociables.

Le combat du XXIe siècle se joue ici. Entre une laïcité vivante qui assume l’héritage civilisationnel de la France et une laïcité dévoyée qui organise notre effacement. Entre un universalisme qui libère les individus et un communautarisme qui les asservit.

Cette bataille se gagnera par notre capacité à reprendre le terrain perdu. Chaque voile à l’université – qui n’a pas vocation à être un lieu de manifestation identitaire mais un sanctuaire de la raison et de l’émancipation –, chaque burkini sur nos plages, chaque refus de mixité dans nos piscines, chaque prière de rue est un étendard politique, souvent un pion avancé par les islamistes sur l’échiquier de notre espace public, et toujours un renoncement de la République française.

L’absence de tout signe religieux ostensible doit prévaloir partout où la République instruit, juge ou administre.

Ces mesures visent à protéger la liberté de conscience contre les assignations identitaires. Elles défendent l’espace commun contre la fragmentation communautaire. Elles accomplissent ce que Briand voulait : permettre à chacun de vivre sa foi dans la sphère privée sans que celle-ci ne détermine son statut dans l’espace public.

Cent vingt ans après, nous devons faire ce qu’il a fait : combattre sur deux fronts. Refuser l’offensive islamiste qui veut soumettre la République à la charia. Refuser l’offensive woke qui veut dissoudre notre identité dans le multiculturalisme. Dénoncer les idiots utiles qui, par lâcheté ou par calcul, ouvrent les portes aux deux.

Résister à ces nouveaux empires idéologiques, c’est assumer pleinement ce que nous sommes comme Français, précisément dans l’esprit républicain, c’est-à-dire quelles que soient nos origines et nos éventuelles croyances religieuses. Sans cette double fidélité à la liberté individuelle et à l’identité nationale héritée, il ne restera bientôt plus rien à défendre. Ni République, ni civilisation, ni nation. Seulement un espace vide offert à ceux qui n’ont jamais renoncé à le conquérir.

 

Retrouvez cette tribune sur le site de Rupture-Mag en cliquant ici. 

Vous êtes d'accord ?

Rejoignez-nous

Adhérer

Recevez les actualités

de Nouvelle Énergie et David Lisnard