David Lisnard : « Emprisonnement de Boualem Sansal, trois cents jours d’indignité et d’effacement de la France »
TRIBUNE – Face à un régime algérien de plus en plus liberticide, dont la seule martingale politique consiste à attaquer notre pays et à jouer de notre faiblesse, ces trois cents jours d’inertie et de silence marquent la fin d’une certaine idée de la France, déplore David Lisnard

Trois cents jours. Trois cents jours que notre compatriote Boualem Sansal subit l’arbitraire du pouvoir algérien. Trois cents jours que cet immense écrivain croupit dans les geôles algériennes. À 80 ans, gravement malade, il paye sa double nationalité franco-algérienne. Il paye d’enrichir la France de sa plume et de faire rayonner l’esprit universaliste français. Il paye de critiquer le régime de Tebboune, les islamistes, et de penser librement. L’auteur de 2084, celui qui dissèque les totalitarismes avec la lucidité d’un Orwell, est réduit au silence. Face à un régime algérien de plus en plus liberticide, dont la seule martingale politique consiste à attaquer notre pays et à jouer de notre faiblesse, ces trois cents jours disent tout de l’effacement de la France.
Trois cents jours d’injustice et de souffrance pour un homme libre et trois cents jours d’indignité pour nos intellectuels, nos artistes, et tous les bien-pensants. Eux si prompts à embrasser des causes étrangères, souvent hostiles à la France et plus largement aux démocraties, eux qui ont défendu Cesare Battisti, terroriste italien, avec une ferveur militante, eux qui arborent des drapeaux palestiniens en soutien aux néo-nazis du Hamas, sont aphones, incapables du moindre mot pour un compatriote, un auteur de langue française à l’œuvre universelle. Les mêmes, qui se gargarisent de grands principes, ont des indignations sélectives et sont muets quand il s’agit de défendre un écrivain qui ne correspond pas à leur grille idéologique. Leur silence assourdissant sur Boualem Sansal les discrédite à jamais.
Ces trois cents jours sont aussi ceux de l’incapacité pour l’exécutif français à agir. Le président de la République et le ministre des Affaires étrangères ont-ils seulement essayé, eux qui ont voulu nous faire croire à des tractations en coulisses pour nous faire taire et jouer sur l’oubli ? Les déclarations polies du Quai d’Orsay masquent une inertie coupable. La diplomatie française s’enferme dans une posture de repentir systématique. Cette culpabilisation permanente nourrit le mépris et encourage l’arrogance du régime algérien. La France n’a su imposer ni dialogue partenarial ni rapport de force. Ni stratégie, ni autorité.
Rien n’est fait non plus pour le journaliste français Christophe Gleizes, emprisonné, lui aussi arbitrairement, depuis mai 2024. Notre diplomatie sait-elle encore agir ? Jusqu’alors, jamais, à aucune époque, sous aucun président, avec aucune génération d’intellectuels, la France n’avait toléré pareille ignominie. Jamais la France, héritière des Lumières, patrie de Voltaire, Zola, Hugo, Camus, n’abandonnait ainsi les siens. Jamais la France n’avait renoncé à être elle-même.
Ces trois cents jours sont aussi et enfin ceux de l’inconscience de la société française. Beaucoup pensent que cette affaire ne les concerne pas, qu’il s’agit d’une histoire entre Algériens. Erreur tragique. Non seulement Boualem Sansal est l’un de nos compatriotes mais n’y avait-il pas également de la France chez Soljenitsyne, Vaclav Havel ou Primo Levi ? Quand un écrivain est emprisonné pour ses idées, c’est l’âme française qui est attaquée et notre conception de la liberté qui est piétinée.
Face à cette indifférence, avec le comité de soutien international à Boualem Sansal, animé notamment par Arnaud Benedetti, Catherine Camus et Noëlle Lenoir et regroupant des voix courageuses comme celles de Georges-Marc Benamou, Pascal Bruckner et quelques autres, nous avons lancé l’opération « Je lis Sansal ». Ils sont peu nombreux à rappeler l’essentiel face à la lâcheté générale, mais en cela ils tentent de sauver Sansal et un peu de notre dignité collective. Aussi importante soit-elle, cette mobilisation reste insuffisante si le pays demeure indifférent et le pouvoir inopérant.
Le régime algérien teste notre détermination. Il constate que la France alterne entre silences pesants et soubresauts stériles, faits de rodomontades sans conséquences vis-à-vis de nos partenaires ou adversaires. Il est un constat objectif et cruel : notre pays se révèle incapable de protéger ses propres citoyens.
Le silence et l’inertie français sont un déshonneur collectif. Ils marquent la fin d’une certaine idée de la France. Celle qui savait que défendre un écrivain emprisonné, c’était défendre la liberté de tous. L’enjeu, aujourd’hui, n’est pas seulement la survie d’un homme âgé, malade, victime d’une justice instrumentalisée et d’un pouvoir despotique. L’enjeu, c’est l’existence même de l’esprit français et de l’âme de notre nation. Liberté pour Boualem Sansal. Liberté pour Christophe Gleizes. Immédiatement. Car leur liberté est la nôtre. Et leur abandon est notre reddition.
Retrouvez la tribune de David Lisnard parue dans le Figaro, vendredi 12 septembre 2025, en cliquant ici.

Recevez les actualités
de Nouvelle Énergie et David Lisnard