La chute de l’agriculture française

La situation de l’agriculture française ne cesse de se dégrader, prise comme elle se trouve entre les normes européennes et françaises qui handicapent sa compétitivité, et de mauvais accords commerciaux qui l’exposent à une concurrence injuste. Une tribune de David Lisnard et Yves d’Amécourt parue sur Atlantico.

Agriculture le 03 octobre 2025
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Il y a des chiffres qui résonnent comme des coups de tonnerre. En 2024, l’excédent agricole français est tombé à 4,9 milliards d’euros, un plus bas inédit depuis plus de 20 ans. À la fin de l’été 2025, l’excédent cumulé — vins et spiritueux inclus — n’était plus que de 47 millions d’euros. Et pour la première fois depuis cinquante ans, un basculement historique est en passe de se produire : notre pays pourrait finir l’année avec un déficit agricole.

L’excédent commercial agricole, longtemps source de fierté nationale, jouait le rôle d’un bouclier stratégique : quand nos industries manufacturières reculaient et que le déficit commercial global se creusait, l’agriculture restait ce pilier qui tenait encore l’édifice. Le voir s’effondrer aujourd’hui, c’est comme voir se fissurer la dernière arche d’un pont déjà fragilisé.

Ce n’est pas seulement un problème économique. C’est aussi une question d’identité. La France n’est pas qu’un territoire : elle est une somme de terroirs, une culture, un art de vivre, une terre façonnée par des siècles de travail paysan. Quand nos campagnes déclinent, ce sont nos racines qu’on abîme, c’est toute la nation qui vacille.

Nos agriculteurs sont parmi les plus compétents du monde. Ce qui les étouffe, ce sont des chaînes invisibles mais puissantes : normes, coûts, dépendances, choix politiques incohérents.

Chaque semaine, un agriculteur consacre en moyenne neuf heures à remplir des formulaires, répondre à des contrôles, justifier ses pratiques. Neuf heures volées aux champs, aux vignes, aux troupeaux. C’est l’équivalent de cent mille emplois à temps plein absorbés par la bureaucratie.

La France applique non seulement les normes européennes, mais elle y ajoute des exigences supplémentaires. On en a recensé 137 dans le secteur agricole et environnemental. Résultat : un agriculteur français doit respecter plus de contraintes que son voisin allemand ou espagnol, tout en vendant sur le même marché. C’est un suicide économique. Il n’y a pas de libre échange possible sans normes de productions communes.

À cela s’ajoutent de mauvais accords commerciaux. Le commerce international est, depuis des siècles, un vecteur de prospérité et de progrès. Il a permis aux nations de se spécialiser selon leurs atouts naturels et leurs savoir-faire, d’échanger leurs productions complémentaires, de diffuser les innovations techniques d’un continent à l’autre. Par le commerce, les peuples ont accédé à des produits qu’ils ne pouvaient fabriquer eux-mêmes, les prix ont baissé, les revenus se sont élevés, les famines ont reculé.

L’agriculture française en a largement bénéficié : nos vins, nos céréales, nos productions d’excellence ont conquis les marchés mondiaux. Le libre-échange, qui doit reposer sur des règles équitables, demeure un essentiel facteur de développement.

Mais cette approche repose sur un principe fondamental : le refus des distorsions de concurrence. Or aujourd’hui, nous ouvrons nos frontières à des produits fabriqués avec des règles sanitaires, sociales et environnementales bien moins strictes que les nôtres.

Pendant que nos producteurs se battent avec un bras attaché dans le dos, des cargaisons de poulets brésiliens ou de blé traité avec des pesticides interdits ici arrivent sur nos quais.

Il n’y a pas de libre-échange possible sans normes de production communes. L’Europe et la France doivent cesser d’interdire à leurs producteurs ce qu’elles autorisent à l’importation. Soit un mode de production présente des risques avérés pour la santé ou l’environnement : dans ce cas, il faut l’interdire partout, y compris aux frontières, conformément aux règles de l’OMC. Soit il ne présente pas de danger scientifiquement établi, et alors il doit être autorisé partout. C’est une question de cohérence et d’équité.

Aux distorsions de concurrence s’ajoute une dépendance structurelle : nos fermes dépendent massivement de l’étranger pour leurs fertilisants, leur énergie, parfois même leurs semences. Le prix du gaz, du diesel ou des engrais se décide loin de nos frontières, et une variation sur les marchés internationaux peut suffire à faire basculer une exploitation de la rentabilité à la faillite.

Trop souvent, nos produits quittent la France à l’état brut avant d’être transformés ailleurs, puis reviennent sur notre marché… plus chers. Nous exportons des pommes de terre et nous importons des frites. Nous vendons des céréales et achetons des pâtes et de la farine. Nous vendons nos veaux qui sont élevés ailleurs. Nos grumes de bois, deviennent des meubles ou du parquet à l’autre bout du monde. Chaque tonne de matière première qui part sans être transformée, c’est de l’emploi perdu, de la richesse qui s’évapore, et un territoire qui s’appauvrit.

Laisser cette situation perdurer, c’est accepter des campagnes désertées, des fermes qui ferment, des agriculteurs découragés et une perte d’emplois dans l’agroalimentaire et la logistique. C’est aussi accepter que la France oublie que le mot culture vient du mot cultiver.

Nous n’avons plus le temps des demi-mesures. Il nous faut un programme clair, ambitieux, pragmatique. Un programme qui libère nos agriculteurs au lieu de les étouffer. Il faut simplifier l’administration, mettre fin à la surtransposition, relocaliser la transformation, construire une souveraineté énergétique agricole, protéger les revenus et rééquilibrer la fiscalité.

Cette crise n’est pas seulement agricole. Elle pose une question politique fondamentale : voulons-nous être une nation qui produit ou une nation qui dépend ?

Jean d’Ormesson écrivait : « La France est plus grande que la France. » Elle l’est par sa langue, son histoire, sa culture. Mais elle l’est aussi par sa capacité à transformer la terre en paysage, la récolte en tradition, le travail en richesse, l’agriculture en fierté nationale.

Si nous perdons cela, nous perdons plus qu’un excédent commercial. Nous perdons une part de nous-mêmes. Il est encore temps d’agir. De rendre aux agriculteurs la liberté de produire. De rendre à la France la fierté de nourrir sa population et d’exporter.

Retrouvez cette tribune sur le site le site d’Atlantico en cliquant ici.

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de Nouvelle Énergie et David Lisnard